Ce rapport d’Amnesty est un bon révélateur du niveau de conflictualité de ces dernières années. Lorsque ça se corse le pouvoir n’en a que faire de ces propre principe et peut même les piétiner si ça peut le faire perdurer. Malgré les apparences le pouvoir panique vite et à ce moment son vernis démocratique ne tient plus longtemps.
Depuis fin 2018, en France, la répression des manifestations a été d’une ampleur inédite. Manifester expose au risque de violences policières, mais aussi à celui de finir en garde-à-vue. En effet, les autorités ont instrumentalisé des lois contraires au droit international pour verbaliser, arrêter arbitrairement et poursuivre en justice des gens qui n’avaient commis aucune violence. Enquête.
Au cours des dernières années, les mouvements de protestation se sont multipliés sur tout le territoire français : du mouvement des « Gilets jaunes » aux manifestations appelant à une action face à l’urgence climatique, en faveur de la justice sociale ou encore contre l’impunité policière et le racisme au lendemain de l’homicide de George Floyd aux États-Unis.
Nous avons enquêté pendant 18 mois sur la réponse des autorités à ces mouvements sociaux, recueilli et recoupé le témoignage d’une centaine de manifestants arrêtés et poursuivis, et rencontré les autorités Le constat est inquiétant. Depuis 2018, des milliers de personnes ont été verbalisées, interpellées, arrêtées et poursuivies en justice pour des activités pacifiques qui n’auraient pas dû être considérées comme des infractions. Parmi elles, des manifestants, mais aussi des journalistes ou observateurs des droits humains ont notamment été pris pour cible.
Des lois contraires au droit international ont été utilisées de manière massive, et une nouvelle loi, dite « anticasseurs » a été promulguée. Et c’est encore sur ces lois que s’appuie le nouveau Schéma national du maintien de l’ordre (SNMO) du ministère de l’Intérieur.
Des milliers d’arrestations et de poursuites arbitraires
Les manifestants du mouvement des Gilets jaunes ont particulièrement été réprimés par les autorités françaises. Entre novembre 2018 et juillet 2019, 11 203 d’entre eux ont été placés en garde à vue. Plus de la moitié, soit 5 962 manifestants, ont été libérés sans poursuites. D’autres ont été poursuivis, et parfois condamnés, pour des activités qui ne devraient pas constituer des infractions pénales.
Lors d’une manifestation contre les violences policières à Narbonne en mai 2019, quatre manifestants ont fait l’objet d’une enquête pour outrage pour avoir déployé une banderole sur laquelle était écrit « Oui au muguet, non au LBD ». Le délit d’outrage est défini de manière vague comme « tout écrit, toute image ou toute parole qui porte atteinte à la dignité ou au respect dû à une fonction publique » et il est passible de peines allant jusqu’à un an de prison et 15 000 euros d’amende. En 2019, 20 280 personnes ont été reconnues coupables d’« outrage à l’encontre de personnes dépositaires de l’autorité publique », y compris dans des contextes de manifestations, et dans certains cas pour de simples slogans. Frédéric, un syndicaliste de Besançon que nous avons rencontré a passé 24 heures en garde à vue, été perquisitionné, et poursuivi plusieurs fois ces deux dernières années en raison de ses activités pacifiques. Il a aussi reçu cinq amendes pour avoir participé à des manifestations que les autorités considéraient comme « interdites ». Ces interdictions sont dans certains cas disproportionnées. Depuis mars 2019, plus d’un millier de personnes ont reçu des contraventions de ce type alors qu’elles n’étaient pas toujours informées des interdictions, voire qu’elles ne manifestaient pas.
…et des arrestations préventives injustifiées
Des centaines de personnes, dont des manifestants, ont été reconnues coupables de « participation à un groupement en vue de la préparation de violences ». Cette infraction très vague permet aux autorités d’arrêter et de poursuivre en justice des personnes non pour ce qu’elles ont fait, mais en raison de ce que les autorités pensent qu’elles pourraient faire. Le problème : elles se basent sur des indices très discutables. Ainsi, des manifestants ont été arrêtés et poursuivis simplement pour avoir porté des lunettes de natation ou des masques pour se protéger du gaz lacrymogène et des tirs de LBD40.
Sophie, une femme ayant rejoint le mouvement des Gilets jaunes, nous a indiqué qu’elle avait été arrêtée pour « participation à un groupement en vue de la préparation de violences » après avoir gonflé des ballons de baudruche sur les Champs-Élysées le 14 Juillet.
Couvrir son visage en manifestation : nécessaire à l’heure du Covid-19 et du gaz lacrymogène
En réaction à la forte augmentation de l’utilisation de gaz lacrymogène, des tirs de LBD40 et de grenades lacrymogènes par la police, les manifestants ont de plus en plus utilisé des masques, des casques et des lunettes de protection. En avril 2019 a été introduite une interdiction générale de dissimuler son visage pendant les manifestations sous peine d’une amende pouvant aller jusqu’à 15 000 euros et d’une peine pouvant aller jusqu’à un an d’emprisonnement. Cette loi est contraire au droit international, et n’a plus aucun sens dans le contexte du Covid-19 où il est obligatoire de porter un masque. Entre avril et octobre 2019, cette interdiction a donné lieu au placement en garde à vue de 210 personnes. En 2019, 41 manifestants ont été reconnus coupables de cette infraction.
Ainsi, Brice, journaliste, était en train de filmer une manifestation des Gilets jaunes à Paris en avril 2019 lorsqu’il a été arrêté, maintenu en garde à vue pendant 48 heures et inculpé pour « violences », « dissimulation du visage » et « préparation de violences ». « Je trouve absurde que le parquet ait requis [une peine de] trois mois, sachant que je suis journaliste et qu’il n’y avait aucune preuve contre moi », a-t-il déclaré. Il a été acquitté par la suite.
Une attaque sans précédent contre la liberté de réunion pacifique
Les autorités françaises ont aussi profité de la crise du Covid-19 pour restreindre un peu plus le droit de manifester de façon disproportionnée. Des restrictions post confinement qui s’inscrivent dans la continuité d’une situation inquiétante. Les arrestations et les poursuites à répétition ont eu un effet négatif sur le droit à la liberté de réunion pacifique en France. Un grand nombre des personnes que nous avons interrogées nous ont d’ailleurs confié y réfléchir à deux fois avant d’aller manifester désormais. À présent, elles participent moins souvent à des manifestations ou évitent les grands rassemblements.
C’est le comble qu’un pays avec une longue et fière tradition de grandes mobilisations collectives en faveur du changement social criminalise les manifestations de cette manière. Trois ans après la promesse électorale d’Emmanuel Macron de protéger le droit de se réunir pacifiquement, le droit de manifester pacifiquement est soumis à une attaque sans précédent.
Utiliser la loi de manière abusive contre les personnes qui prennent part à des manifestations n’est pas aussi visible que les violences policières. Mais c’est une autre forme de violence avec des effets tout aussi dévastateurs pour les personnes et le droit de manifester. Les autorités françaises doivent cesser de transformer les manifestants en délinquants et modifier toutes les lois qui portent atteinte au droit de se réunir pacifiquement.