Dans la série des priorités du Gouvernements et de l’Assemblée, nous pouvons deviner aisément que nous n’avons pas les mêmes notions d’urgence. Cette loi dite « anti-squat » issu de la panique morale qui fait suite à deux faits-divers de cet été, où de pauvres petits propriétaires sans-défense n’ont pas pu accéder à leur seconde propriété pour passer leurs vacances. Les personnes qui refusent de rester dans la rue sont encore stigmatisées et criminalisées au profit du droit de propriété des possédants. Le silence autour de cette loi est une honte.
Loi anti-squat : la protection des maisons vides prime sur les personnes qui dorment dehors
30 septembre 2020 à 11:11
—Il aura suffi que deux familles squattent deux résidences secondaires pour qu’immédiatement la ministre du Logement et le Parlement se saisissent du sujet. Une promptitude surprenante si l’on considère que les 902 000 personnes dépourvues de logement personnel en France ne suscitent aucun débat politique.
Un millier d’enfants ont dormi à la rue ou dans des abris de fortune la veille de la rentrée scolaire, indiquait une enquête publiée mi-septembre par la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS) et Unicef France. En février, la Fondation Abbé-Pierre rappelait dans son rapport annuel que plus 902 000 personnes sont privées d’un logement personnel dans notre pays. Nombre d’entre elles (643 000) s’en sortent en étant hébergées par des proches (famille, amis, collègues…) mais peuvent se retrouver dehors à tout moment pour peu que la cohabitation se passe mal. D’autres (91 000) vivent dans des abris de fortune (cabanes, voitures…), ou à l’hôtel (25 000). Enfin, 143 000 hommes et femmes – parfois accompagnés d’enfants – sont SDF, c’est-à-dire à la rue.
Ces chiffres disent en substance qu’un habitant de l’Hexagone sur 72 n’a pas de domicile personnel. La situation dure depuis des décennies : les gouvernements se succèdent, mais la grande exclusion ne recule pas. Pour éviter que l’affaire ne tourne au scandale social, les pouvoirs publics mettent des rustines sur des situations qui exigeraient des réponses de fond.
Compassion à l’endroit des propriétaires
Il existe ainsi des centres d’hébergement d’urgence – où règnent la promiscuité et parfois la violence – où les SDF sont accueillis ponctuellement pour éviter qu’ils ne meurent de froid à la rue. Et pour répondre a minima aux exigences de la protection de l’enfance, des familles sans logement sont hébergées pendant des années – «à titre provisoire» – dans des hôtels. Une étude, menée en 2019 par les sociologues Nicolas Oppenchaim de l’université de Tours et Odile Macchi de l’observatoire du Samu social de Paris, et destinée au défenseur des Droits, relatait la vie d’adolescents ayant grandi à l’hôtel, en pointant les «effets délétères» sur les relations familiales, la scolarité et la santé des jeunes concernés.
Largement documentée, la question du mal-logement et des sans-abri est pourtant peu présente dans le débat politique. Mais il a suffi, qu’une famille avec enfants à la Théoule-sur-Mer (Alpes-Maritimes) et un couple à Saint-Honoré-les-Bains (Nièvre) squattent deux résidences secondaires pour qu’immédiatement l’affaire devienne un événement politique de portée nationale.
La ministre du Logement s’est immédiatement saisie du sujet. Elle a dit sa compassion à l’endroit des propriétaires des maisons squattées sur les plateaux de chaînes d’infos : leur «situation particulière a ému toute la France». Emmanuelle Wargon a annoncé que la chancellerie avait été saisie du problème et que les services de son ministère avaient procédé à «une analyse approfondie» du dossier. Toutes les télés et radio ont fait des reportages ou organisé des débats, en versant des larmes sur le sort de ces propriétaires squattés. Et il n’a fallu que quelques jours pour que le député LREM d’Eure-et-Loir, Guillaume Kasbarian, dépose, avec le soutien du gouvernement, un amendement anti-squat au projet de loi Asap («accélération et simplification de l’action publique») en cours d’examen à l’Assemblée.
«En même temps»
Son texte, qui sera examiné ce mercredi soir, étend la notion de «domicile» aux résidences secondaires ou occasionnelles, afin de permettre une expulsion rapide en cas d’occupation par des squatters. Juridiquement, elles sont mises sur le même plan que la résidence principale. «Le droit au logement ce n’est pas le droit au squat», proclame sur Twitter le parlementaire. «Il faut être très ferme sur les principes du respect du droit à la propriété privée, et en même temps mener une politique sociale qui fait du logement social et protège», s’est-il défendu dans une interview à France 3 Centre-Val de Loire.
Mais Guillaume Kasbarian et ses collègues de la majorité ont surtout voté «en même temps» la loi de finance de 2018 qui baisse les APL pour les ménages pauvres et modestes et enlève aux organismes de HLM, des moyens considérables : 800 millions en moins en 2018, 890 millions en 2019 et 1,3 milliard en 2020. Autant d’argent qui leur fera défaut pour construire et rénover des logements sociaux. Selon un décompte du collectif Les Morts de la rue, 569 personnes sans abri, sont décédées dehors, d’épuisement, de malnutrition, d’absence de soins, de froid, de violences, d’accidents, de suicides… en 2019. Mais eux n’ont pas eu droit à un débat parlementaire. La défense des résidences secondaires vides dix mois sur douze, oui.
source : Libération
pour aller plus loin :
Brochures : https://fr.squat.net/brochures/